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Ai-je le droit de créer le nouvel Uber ?

Après avoir travaillé sur votre produit pendant des semaines, après avoir rédigé le business plan idéal et étudié votre marché sous toutes ses coutures, vous êtes enfin prêt à lancer votre application mobile ! Cependant, avez-vous pris en compte l’aspect légal de votre projet ? Connaissez vous les contraintes légales pouvant impacter votre projet en termes de produit mais aussi de développement ?

Pour répondre à ces questions, j’ai été accompagné de Maître Ouamara, avocate spécialisée en droit de la concurrence et de la distribution. Ensemble, nous avons rédigé cet article pour vous guider dans cette jungle juridique. 

Peut-on copier les fonctionnalités d’une application déjà existante ?

Les applications mobiles sont omniprésentes dans notre quotidien, et ont très souvent de nombreuses alternatives. Parmi les offres les plus populaires, on retrouve les applications de mise en relation de voyageurs avec des conducteurs privés tels que Uber, Bolt, Freenow ou encore Heetch. Malgré la concurrence féroce sur ce marché, ces entreprises ont toutes choisi de proposer des fonctionnalités identiques pour satisfaire leurs utilisateurs : recherche de courses, visualisation des voitures disponibles aux alentours, choix entre plusieurs gammes de voitures pour une course, etc.

Mais alors, est-il possible de copier les fonctionnalités d'une application existante pour proposer un service similaire ? 

La Cour de justice de l'Union européenne a répondu clairement à cette question : il n'existe pas de fondement juridique permettant de protéger les fonctionnalités d'un logiciel, et a fortiori, d'une application mobile (1). Les fonctionnalités sont dites "non appropriables" et les entreprises peuvent librement proposer une offre concurrente en proposant des fonctionnalités identiques, sans qu'un acte de contrefaçon ne puisse leur être reproché.

Cette décision vise à encourager l'innovation et à promouvoir la concurrence entre les entreprises, en évitant que des situations de monopoles ne se créent dès qu'une application propose un nouveau service, ce qui favoriserait des abus de position dominante. Le corollaire de cette décision est que les fonctionnalités d'une application ne peuvent pas être protégées juridiquement, même si vous êtes le premier à les avoir proposées.

Maintenant que vous vous savez libre de créer les fonctionnalités que vous souhaitez, vous devez vous pencher sur l'image que vous souhaitez donner à votre application. La marque que vous allez créer est un élément crucial de cette image, et il est important de comprendre les limites légales à respecter dans le processus de création. Nous allons donc examiner ces limites en détails pour vous aider à créer une marque forte et conforme juridiquement pour votre application.

Peut-on copier une marque déjà existante ? 

En tant que nouvelle entreprise sur un marché, vous pourriez être tenté de vous inspirer, plus ou moins fortement, d’une marque préexistante. Ceci dans l’objectif de profiter de la renommée de ces acteurs déjà présents afin de capter leur clientèle. 

Pour reprendre l’exemple du service de réservation de VTC, on pourrait imaginer créer une nouvelle application, appelée, de façon caricaturale, “Uuber”, en rappel à la marque “Uber”. 

Sur le papier, cela peut sembler être une bonne idée : en créant une ambiguïté entre les deux marques, vous profiterez alors de téléchargements involontaires sur les stores qui seraient profitables pour votre entreprise. Vous pourriez même aller plus loin en choisissant un logo similaire pour créer une confusion plus grande.

Cependant, à l’inverse des fonctionnalités, la marque de l’application, si elle a été déposée, est quant à elle protégée par le droit de la propriété intellectuelle contre des actes de contrefaçon. En droit, la marque est un signe qui permet de distinguer les produits et services qui sont vendus par une entreprise. Ce signe peut être caractérisé notamment par différents éléments tels qu’un nom, un logo, des composants d’une charte graphique ou encore un slogan. En déposant cette marque à l’autorité compétente (l’INPI en France), le déposant obtient le monopole d’exploitation sur cette marque, ce qui lui permet ainsi d’agir en contrefaçon contre toute personne qui reproduirait les signes de la marque sans son autorisation.

Pour ces raisons, créer une application pour un même service, avec le nom “Uuber” en ajoutant simplement une lettre peut caractériser un acte de contrefaçon car cela constitue une différence non significative. L’idée sous-jacente est qu’une telle reproduction pour la proposition de services identiques, créera une confusion entre les deux applications qui vous permettrait de façon déloyale de capter la clientèle de la marque Uber. Profiter de la position des acteurs déjà présents en copiant des éléments de leurs marques peut sembler une stratégie attrayante pour capter une clientèle, cependant, cette approche doit être à bannir pour éviter toute poursuite juridique, notamment, au titre d’une action en contrefaçon. 

Une fois que vous aurez défini les fonctionnalités que vous souhaitez inclure dans votre application et créé une marque distinctive pour celle-ci, vous pourrez passer à l'étape cruciale de la réalisation de l'application : le développement. Avant de vous lancer, il est important de comprendre les lois et réglementations qui régissent la protection du code source de votre application. Dans le prochain paragraphe, nous examinerons ces règles pour vous permettre de coder votre application en toute conformité juridique.

Peut-on copier le code d’une application existante ? 

Lorsqu'on crée une application, les fonctionnalités qu'elle offre sont souvent considérées comme étant le plus important. Toutefois, sans un code informatique de qualité, ces fonctionnalités ne pourraient jamais être matérialisées. Le code est le squelette sur lequel repose toute l'application. Lors du développement, les coûts liés à la création de l’application sont fortement liés à la durée des développements. Pouvoir avoir accès à du code informatique existant permettrait donc de répondre à un besoin fort : réduire les coûts de développement.

Il existe de nombreuses façons d’avoir accès au code source d’une application ou d’un logiciel. En premier lieu on retrouve les fuites de code sur internet : cette année encore, par exemple, le code source du réseau social Twitter a été rendu accessible sur la plateforme Github, a priori par un employé mécontent de son licenciement (2). Chaque personne ayant une connexion internet a eu l’opportunité de télécharger sur son ordinateur une copie de ce code. Mais attention, ce n’est pas parce que vous avez pu le télécharger, que vous avez le droit d’en faire usage !

En effet, peu importe le moyen d’accéder au code. Que ce soit lors d’une fuite, d’un travail collaboratif avec l’éditeur du code, ou en utilisant des outils de décompilation, celui-ci peut-être protégé par les droits d’auteurs. Contrairement à l’enregistrement nécessaire pour une marque, les droits d’auteurs peuvent protéger un code dès sa création sans actions particulières de la part de l’auteur (si certaines conditions légales sont remplies, voir la suite de l’article). 

Il convient de préciser que le terme “code” n’est pas une notion juridique, on parle plutôt de “logiciel”, lequel comprend plusieurs éléments tels que le code, les APIs, la documentation etc… Ces éléments, en fonction des cas particuliers, peuvent être protégés ou non. Pour être considéré comme original et bénéficier de la protection du droit d’auteur, un logiciel doit :

Résulter d’un effort personnalisé portant la marque de l’apport intellectuel de son auteur. À l’inverse, un logiciel issu d’une logique automatique et contraignante ne résulte pas de choix libres et créatifs de son auteur et ne pourra pas être protégé par le droit d’auteur (3).

Prenons un exemple, supposons que votre application communique avec une API. Si le code utilise une approche innovante pour interroger l'API, gère des erreurs de manière particulièrement efficace ou implémente des fonctionnalités supplémentaires qui améliorent l'expérience utilisateur, alors il peut être considéré comme original et donc protégeable par le droit d'auteur. À l’inverse, si le code utilise simplement des bibliothèques courantes pour interroger l'API et suit des modèles de conception standard sans apporter de modifications significatives, alors il ne peut pas être considéré comme original et ne peut donc pas bénéficier de la protection du droit d'auteur.

Si le code est protégé par les droits d’auteurs, alors l’utilisation de celui-ci n’est possible qu’en ayant l’accord du propriétaire, que ce soit via, notament, un contrat de licence. De la même façon que vous n’avez pas le droit de faire une copie d’un CD sans autorisation, vous ne pouvez pas copier le code d’une application existante sans autorisation. Sans que cette liste soit exhaustive, retenez que la reproduction, la modification, l’adaptation, totale ou partielle, par tout moyen et quel que soit la forme, pour un code protégé sans autorisation, sont strictement interdites. Il est donc fortement déconseillé de faire usage de ces éléments sans une autorisation explicite et écrite du titulaire du code, sans quoi des poursuites judiciaires pourront être engagées, même pour un usage privé.

Il ne faut pas sous-estimer le risque encouru sur la copie du code et ses conséquences. En effet, c’est dans le code que se trouve une grande partie de la valeur de l’entreprise. La contrefaçon de droits d’auteur est un sujet sensible contre lequel les entreprises se protègent. Certaines introduisent des "marqueurs" dans leur code, une astuce qui leur permet d'identifier facilement une éventuelle contrefaçon. Des commentaires subtils disséminés à des endroits clés du code peuvent ainsi servir de preuve en cas de litige. 

Il arrive aussi que des preuves soient apportées de manière involontaire. C’est le cas dans une affaire qui a été jugée à Marseille. Au cours d'une expertise sur le code incriminé, des experts ont remarqué des similitudes frappantes entre les fautes d'orthographe présentes dans le code contrefait et celles de l'œuvre originale. Cet élément, combiné à d'autres éléments, ont abouti à la condamnation de la personne qui avait copié le code pour en faire un usage caractéristique de la contrefaçon (4).

Conclusion

Cet article vous a permis d’être sensibilisé au droit régissant la création d’application mobile notamment concernant la propriété intellectuelle, et en particulier, les droits d’auteurs. Pour ce faire nous avons parcouru des situations concrètes, pour lesquelles nous avons analysé le risque encouru. Par-delà ces situations, il est important de comprendre que les règles juridiques sont complexes et que chaque situation, présentant des éléments contextuels différents, rend impossible l’exhaustivité d’une réponse pour l’ensemble des cas particuliers dans un seul article.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter le site de l’agence pour la protection des programmes qui vous permettra d’avoir les textes de références et quelques liens utiles. Enfin, en cas de doutes sur votre situation, il conviendrait de contacter un professionnel pouvant vous accompagner.

(1) CJUE, 2 mai 2012, C-406/10 

(2)https://www.01net.com/actualites/le-code-source-de-twitter-partage-sur-github-un-risque-majeur-pour-les-utilisateurs.html

(3) Ass. Plén., 7 mars 1986, pourvoi n° 83-10.477, Publié au bulletin ; Cass. 1ère civ., 22 septembre 2011, pourvoi n°09-71.337 ; Cass. 1ère civ., 14 novembre 2013, pourvoi n°12-20.687.

(4) Tribunal de grande instance de Marseille, 7 septembre 2000.

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